"Nous refusons de collecter l'impôt sur le revenu": c'est par ce message sans équivoque, publié en pleine page du journal Le Parisien, que la Capeb, représentant les artisans du bâtiment, a rappelé fin juin son opposition fondamentale à la réforme de Bercy.
"Nous refusons de nous immiscer dans la vie privée de nos salariés" et "d'y consacrer une semaine de paperasse par an": "nous voulons faire avancer nos chantiers, laissez-nous travailler!", a ajouté le mouvement patronal dans cette "lettre ouverte" au gouvernement.
Une déclaration en forme de coup de sang, révélatrice des inquiétudes que la réforme, censée entrer en vigueur le 1er janvier 2019, continue de susciter chez les patrons de petites et moyennes entreprises.
"On voit l'échéance se rapprocher. Et on est loin d'être rassurés", témoigne auprès de l'AFP Claudine Villaume, cogérante d'une petite entreprise d'électricité à Saverdun (Ariège), qui redoute que l'impôt à la source "ne soit une source de conflits".
"Dans les petites entreprises, l'interlocuteur des salariés, c'est le patron. Quand les salariés vont voir leur salaire baisser, c'est forcément vers lui qu'ils vont se tourner", s'inquiète-t-elle.
"Ni DRH, ni fiscaliste"
La réforme, lancée durant le quinquennat de François Hollande, prévoit de confier la collecte de l'impôt aux employeurs, sur la base d'un taux transmis par le fisc. Chez les retraités, la collecte sera effectuée par les caisses de retraite.
Quelles seront les conséquences de ce "big bang" pour les employeurs et leurs salariés? Y aura-t-il des ratés? "Ce qui est sûr, c'est qu'il y aura une surcharge de travail, surtout dans les petites structures", estime Alain Griset, président de l'U2P (Union des entreprises de proximité).
"Les artisans, commerçants ou professions libérales n'ont ni DRH, ni fiscaliste à leur disposition. Il n'ont pas à se transformer en précepteurs, surtout en l'absence de compensation financière", insiste-t-il.
Selon l'U2P, qui a lancé en avril une pétition pour l'abandon de la réforme, signée à ce jour par 12.000 personnes, la mise en oeuvre de la réforme devrait coûter un milliard d'euros pour les entreprises en 2019.
Un chiffrage contesté par le gouvernement, qui s'appuie sur un audit de l'Inspection générale des finances (IGF), évaluant entre 310 et 420 millions d'euros la "charge financière" liée au passage au prélèvement à la source.
"Faire preuve de sagesse"
Dijon, Beauvais, Rugles (Eure), bientôt Béthune (Pas-de-Calais). Pour déminer les inquiétudes, le ministre des Comptes publics Gérald Darmanin a multiplié ces dernières semaines les visites de terrain, vantant une mesure de "simplification".
"Je dis aux petits patrons qu'il ne faut pas crier avant d'avoir mal. Regardez le bug de l'an 2000. On prophétisait un cataclysme. Et puis on s'est levé le 1er janvier et tout allait bien", a assuré le locataire de Bercy au Parisien.
Pas de quoi mettre sous cloche le vent de fronde qui agite les milieux patronaux. "De nombreux sujets sont loin d'être résolus et suscitent des inquiétudes légitimes", estime le rapporteur général de la commission des finances du Sénat, Albéric de Montgolfier (LR).
Pour prendre en compte les craintes des patrons, le sénateur a déposé lundi une proposition de loi visant à décharger les entreprises de la collecte de l'impôt. Une initiative dont l'issue semble incertaine, Bercy ayant déjà enclenché sa réforme.
Le gouvernement, qui a déjà accepté quelques concessions, comme l'abandon des sanctions pénales spécifiques pour les chefs d'entreprise en cas de divulgation de données personnelles, pourrait-il faire un nouveau pas en direction des patrons?
"Ma porte est toujours ouverte (...) Mais si c'est de l'argent ou des compensations qui sont demandées, je réponds non. Car au bout de cette logique, il y a plus d'impôts pour les Français", a prévenu Gérald Darmanin.
Un message rejeté par Alain Griset, qui met en garde l'exécutif contre une montée du mécontentement: "il faut que le gouvernement fasse preuve de sagesse et revienne sur sa réforme. Il n'y a que les idiots qui ne changent pas d'avis."